Pierre Suchet

Photographe

Les photos manquées #1 – Le jeune avec Sarkozy

René Burri (Magnum photos) a écrit un jour : « Un de ces jours, je publierai un ouvrage de toutes les photos que je n’ai pas prises. Ce sera un énorme succès. »

Depuis que j’ai lu cette phrase, j’ai eu envie de prendre Burri au pied de la lettre. Sur un petit calepin, qui me suit partout, je note mes photos manquées. Manquées parce que je n’ai pas mon appareil sur moi. Parce que l’instant est trop fugitif. Parce que je n’ai pas sur moi le bon objectif. Parce que je ne suis pas seul.

Aujourd’hui, j’ai envie de partager le contenu de ce carnet, dans l’ordre et le désordre de mes envies.

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Les photos manquées #1 – Le jeune avec Sarkozy

La gare de Vichy

La gare de Vichy

6 Mai 2012, jour de scrutin pour les présidentielles. Mon train venait de s’arrêter à Vichy pour 30 minutes de correspondance. Je sors sur le parvis de la gare pour chercher la meilleure façon d’occuper cette demi-heure. Mes yeux sont aussitôt accrochés par un jeune militant UMP, d’une vingtaine d’années, portant la panoplie complète : T-shirt « Les jeunes avec Sarkozy », à la main, le morceau de bois avec la banderole enroulée. Seul, il marche vite, en téléphonant.Son regard cherche quelqu’un. De profil, son nez imposant dépasse de ses cheveux noirs mi-longs. Sans son déguisement, je l’imagine plus à la batterie d’un groupe de rock garage des 80’s que membre de la jeunesse dorée.

Je cherche mentalement les cadrages possibles. Le bar « Le dérailleur » s’offre à moi – sur un plateau – comme arrière-plan. Deux alternatives, moyennant un petit sprint : A ma droite, deux jeunes noirs en blouson noir brillant et pantalon de survêtement blanc immaculé sont hilares à la vue du spectacle. En courant pour dépasser le militant et en me retournant, je peux aussi avoir la façade de la gare avec les lettres « Gare de Vichy » qui se découpent sur le ciel bleu.

Toutes ces alternatives visuelles restent virtuelles car mon appareil photo n’est pas accessible. Alors, je suis les pas du « jeune UMP ». Il accélère le pas, son interlocuteur au téléphone semble lui avoir expliqué à quel endroit il l’attend. Il fait 100 mètres, s’arrête devant une fourgonnette blanche sans vitres, dont la porte coulissante arrière s’ouvre. Je ne vois ni conducteur, ni passager. Il monte, la porte se referme, le véhicule démarre et s’éloigne rapidement à l’opposé de la gare. La scène a duré 1 minute.

Je retourne m’asseoir à côté des deux noirs assis sur un banc. Je leur demande s’ils ont vus ce que j’ai vu. Un moment de complicité qui me console de ces trois photos manquées.